Une BD-enquête sur le « scandale » des déchets nucléaires français

La première de couverture de la bande dessinée de Pierre Bonneau, Gaspard d'Allens et Cécile Guillard est à l'image du propos de l'ouvrage, qui analyse l'impact territorial et sociétal du projet Cigéo en Meuse. [Gaspard d'Allens, Pierre Bonneau, Cécile Guillard / La Revue dessinée, Seuil]

Cent mille ans allie le travail graphique de Cécile Guillard aux enquêtes journalistiques de Pierre Bonneau et Gaspard d’Allens. Dans cet ouvrage publié le 15 octobre, les deux journalistes reviennent sur un « scandale » à la française : l’enfouissement orchestré par l’État de 85 000 m3 de déchets radioactifs près du village de Bure, dans la Meuse.

« C’est l’un de ces petits villages qui n’a jamais eu droit à sa carte postale », peut-on lire sur la quatrième de couverture de la bande dessinée. Le territoire y est un personnage à part. Avant même de présenter le centre d’enfouissement des déchets radioactifs, l’ouvrage laisse entrevoir les forêts et les champs qui bordent les hameaux meusiens. Le but : faire comprendre pourquoi et comment l’État a réussi à faire accepter – ou à imposer –  à ces habitants un projet d’enfouissement de déchets radioactifs sur leurs terres.

Le projet Cigéo (centre industriel de stockage géologique) prévoit d’enfouir près de la petite commune rurale de Bure, dans la Meuse, 85 000 mètres cubes de déchets hautement radioactifs. Dès 2035, date officielle de mise en service du centre, les entrailles de la Meuse devront contenir la fuite de la radioactivité de déchets nucléaires français pendant plus de 100 000 ans. D’où le titre : Cent mille ans – Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires (une co-édition La Revue Dessinée et Le Seuil).

Décrypter un territoire

La bande dessinée ne présente pas tant les 270 kilomètres de galeries taillées dans la roche argileuse, mais plutôt les fermes, les champs et les villages, comme l’explique l’un de ces auteurs Gaspard d’Allens : « Notre bande dessinée s’intéresse à ce qui se passe en surface plus que dans les profondeurs de la terre. Nous voulions montrer que le projet Cigéo a d’ores et déjà un impact social et territorial en Meuse. »

Désertification agricole, exode rurale, fermeture des structures de service public : les deux journalistes ont eu le souci de présenter en détail un territoire souvent méconnu. « Pour mieux l’appréhender, Pierre [Bonneau] et moi nous sommes installés pendant deux ans en Meuse, souligne Gaspard d’Allens. Ce n’est qu’en vivant sur place, qu’on peut se rendre compte de la démesure du projet et percevoir le sentiment des populations. »

De cette bande dessinée se dégage le sentiment d’une ruralité laissée pour compte, instrumentalisé par un État qui, comme le souligne Gaspard d’Allens, « manie tantôt la carotte » – en inondant les collectivités territoriales de fonds – « tantôt le bâton » – avec la répression policière. Les deux journalistes parlent d’une « fabrique du consentement ». « Ce n’est pas un hasard si le projet Cigéo s’est implanté en Meuse, constate le journaliste. Ce territoire à dominante rurale fait partie des départements les moins peuplés de France. Où il était donc plus facile d’imposer le projet aux habitants. »

« Laboratoire répressif »

L’ouvrage revient en détail sur la lutte des opposants au projet Cigéo et les heurts avec les forces de l’ordre. Tandis que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), en charge du site de Bure, les décrit comme « des groupes organisés très violents », la bande dessinée présente la mise en place d’un « laboratoire répressif » à Bure. « L’État a engagé des moyens colossaux pour enrayer la lutte antinucléaire en Meuse, indique Pierre Bonneau, co-scénariste et journaliste spécialisé sur les mouvements sociaux. Une « cellule Bure » a été créée au sein de la police qui emploie entre cinq et dix personnes à temps plein. Parmi les anti-nucléaires, 29 personnes ont été mises sur écoute, pour une durée cumulée d’enregistrements de seize ans. » La bande dessinée revient notamment sur la récente enquête menée par Médiapart et Reporterre qui indiquait que près d’un million d’euros avait été dépensé par l’État contre les antinucléaires de Bure.

Ouvrage engagé

Si les deux journalistes prennent fait et cause pour les opposants au projet Cigéo, Cent mille ans n’en est pas moins le résultat d’un travail journalistique de longue haleine. Pendant près de quatre ans, les deux journalistes ont analysé la question du projet Cigéo, recueilli des données chiffrées, recoupé des sources. Pour preuve : la vingtaine de pages d’annexes à la fin de la bande dessinée qui renvoient aux différents articles et documents sur lesquels ils se sont basés. « D’un point de vue journalistique, le format de la bande dessinée est très intéressant, souligne Gaspard d’Allens. Il nous a permis de parler d’un sujet qui, de prime abord, peut paraître très technique, voire aride. Les dessins de Cécile [Guillard] donne une aération et une vision du territoire tout autre que dans un simple texte. »

Cent mille ans – Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires, Pierre Bonneau, Gaspard d’Allens, Cécile Guillard, une co-édition La Revue Dessinée et Le Seuil.

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