Quelle culture pour quel futur ? Rencontre

L’art et le climat : «L’artiste est un transformateur de nos imaginaires»

Quelle culture pour quel futur ?dossier
Directeur de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, Emmanuel Tibloux appelle les écoles d’art à adapter leurs pratiques à la crise climatique. L’artiste a ainsi un rôle essentiel pour réveiller les consciences.
par Zoé Samin, Laureline Condat et Enora Quellec, élève de l'Institut pratique du journalisme Dauphine / PSL
publié le 8 décembre 2022 à 15h59
(mis à jour le 13 décembre 2022 à 12h07)
Le centre Pompidou a organisé la semaine dernière trois jours de débats pour s’interroger sur les liens entre transition écologique et transition culturelle. Retrouvez tribunes, interviews et enquêtes dans le dossier thématique dédié à l’événement. Ainsi que les articles des étudiants journalistes de l’Institut pratique du Journalisme Dauphine | PSL venus couvrir le forum pour Libération.

Comment les étudiants en arts décoratifs doivent-ils être formés dans leurs écoles, dans un contexte de crise climatique qui affecte la culture ?

A l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, nous avons mis en place un plan de transition en trois volets. Le premier concerne la vie de l’établissement, la question des matériaux et de l’énergie. Le deuxième s’interroge sur l’intégration des questions écologiques dans la formation et la recherche. Enfin, le troisième volet repose sur notre projection à l’extérieur et nos voyages à l’international.

Nous essayons de faire en sorte que la question écologique soit partout et infuse dans toute l’école. Les étudiants sont de plus en plus sensibles à ces aspects, ils développent de plus en plus de projets qui prennent en compte ces questions. Ils se soucient du type de matériau utilisé, de l’énergie mobilisée et imaginent de nouveaux usages et de nouveaux services. Il faut vraiment mettre l’accent sur le fait qu’une œuvre d’art n’est pas hors-sol.

Quelle place occupent aujourd’hui les matériaux biosourcés dans la fabrication d’œuvres d’art ?

Nous sommes plutôt au début. Les cultures matérielles restent faiblement prises en compte dans l’enseignement général comme dans l’enseignement artistique : le premier valorise les cultures textuelles ; le second, les cultures visuelles.

Les chose sont néanmoins en train de changer. Les écoles d’art commencent à prendre conscience de l’importance des enjeux matériels et énergétiques dans la production, l’usage et la diffusion. Mais nous sommes encore l’une des seules écoles d’art et design à disposer d’une «matériauthèque», une bibliothèque de matériaux avec des échantillons qui décrivent leurs propriétés et leur origine. Nous travaillons par ailleurs sur la création d’une grande matériauthèque à l’échelle de Paris, orientée sur l’écoconception.

Avez-vous le sentiment que les autres écoles entament aussi un processus de changement ?

Oui, comme nous. Mais on part de très loin. Les bonnes volontés sont nombreuses, mais les résistances sont systémiques. L’enseignement de l’art obéit à un modèle qui est celui de l’expérimentation, hérité de la modernité. L’artiste moderne est celui qui expérimente. Seulement l’expérimentation est très dispendieuse en termes de ressources, dans la mesure où elle implique l’échec, le ratage et donc des ressources abondantes. Dès lors que vous considérez que les ressources sont finies, vous limitez inévitablement l’expérimentation, et plus largement la liberté, par exemple celle de se voyager. De ce point de vue, les problèmes qui se posent aux écoles d’art sont ceux qui se posent à l’ensemble de la société.

Il y a tout un travail à mener sur les imaginaires. Comment construire des imaginaires heureux du «ne pas faire» ou du «faire moins» ? Comment rendre attractive l’expérience de la contrainte et de la limite ? Quels sont les nouveaux horizons qui se dessinent ? Ce sont là des questions passionnantes, qui touchent au cœur de nos représentations, et mobilisent à ce titre aussi bien les artistes et les penseurs que les politiques et les prescripteurs.

Comment l’art peut-il diffuser des messages pour que les citoyens prennent conscience de la destruction de l’environnement ?

L’art est extrêmement précieux car il est branché en direct sur les consciences. L’artiste est un transformateur de nos imaginaires. Il est celui qui va former et transformer nos imaginaires. Les institutions culturelles ont pour cette raison un devoir d’exemplarité. Le fait que les musées réagissent aux dégradations d’œuvres de façon presque exclusivement sécuritaire, sans mettre le sujet au cœur de leur réflexion, ne me semble pas la meilleure façon de procéder.

Comment imaginez-vous l’art dans cinquante ans ?

J’ai tendance à penser que l’art va infuser plus largement dans la société. Ce dont on souffre le plus, c’est le régime de la séparation, où on considère que l’humain est séparé du vivant, l’artiste séparé du reste de l’humanité, l’œuvre séparée du réel. Un artiste n’est pas hors sol, il fait partie de l’humanité. La créativité doit se répandre dans l’ensemble de la société, il faut encourager le devenir artiste de chacune et chacun d’entre nous.

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