Design

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Le programme Sacre à la pointe de la recherche en design

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 28 novembre 2019 - 926 mots

Avec le programme Sacre, la recherche en design accélère en France. Pour preuve, les premiers doctorats de l’université PSL touchent à leur fin et s’annoncent prometteurs pour l’avenir.

Paris. Contrairement à certaines idées reçues, la recherche en design ne se décline pas exclusivement au plan théorique, mais peut aussi associer la pratique. Ainsi, dès 1964, le Royal College of Art de Londres crée le premier département de recherche en design avec cette ambition. En France, où l’enseignement supérieur est marqué par la juxtaposition de deux modèles, celui des universités et celui des écoles, la recherche en design a longtemps accusé un retard patent par rapport aux États-Unis, Royaume-Uni, Canada ou encore Pays Bas. Ce n’est qu’en 2012 qu’est établi, au sein de l’université Paris Sciences et Lettres (PSL), le premier laboratoire de recherche académique par les arts, dont le design, avec le programme doctoral Sacre (acronyme pour sciences, arts, création, recherche). Celui-ci réunit cinq écoles de création (l’École nationale supérieure des arts décoratifs – Ensad –, les Beaux-Arts de Paris, les Conservatoires nationaux supérieurs de musique et d’art dramatique et la Fémis) et l’École normale supérieure.

S’appliquant à des problématiques matérielles ou immatérielles, la recherche en design se déploie dans l’interdisciplinarité afin d’améliorer « l’habitabilité du monde », en « faisant projet » et en produisant des objets, services ou dispositifs radicalement innovants pour la vie quotidienne. Comme Emmanuel Tibloux, directeur de l’Ensad, le relève : « Les grands enjeux de notre temps – l’urgence écologique, la révolution numérique, les grands bouleversements économiques et sociaux – appellent de nouveaux usages à l’émergence desquels les designers ont une part prioritaire à prendre. »

Un doctorat fondé sur la pratique

Doctorat d’art et de création inspiré du modèle anglo-saxon de recherche « par » et « pour » la pratique, Sacre stimule les échanges et les synergies entre les sciences (humaines, sociales, exactes) et la création sous toutes ses formes (design, création plastique, scénique, performative, musicale, cinématographique…). Une petite dizaine de doctorants est admise chaque année ; six contrats doctoraux sont attribués à l’ensemble du programme, soit un seul contrat doctoral pour chacune des écoles partenaires. Des financements complémentaires, via notamment l’Association nationale de la recherche et de la technologie, peuvent s’ajouter. Chaque doctorant poursuit ses travaux au sein du laboratoire de son école de rattachement, selon sa discipline, en bénéficiant également de séminaires communs à tous les doctorants et des multiples opportunités que lui offre l’environnement de PSL, fort de ses vingt établissements et cent quatre-vingts laboratoires. Fin 2019, trente docteurs seront ainsi issus du programme Sacre.

Tout en favorisant les projets hybrides, la thèse doit satisfaire une double exigence : une création de qualité articulée à une capacité réflexive permettant de la questionner, de la contextualiser et de la surplomber. « Avec Sacre, le designer acquiert une expertise pointue dans un champ donné, à la croisée des arts et des sciences. En même temps, il s’ouvre à des domaines de connaissance qui lui permettent de défricher de nouveaux territoires et de faire surgir l’étincelle de l’innovation. Il devient chef de projet au cœur d’un écosystème qu’il se crée lui-même », souligne Aurélie Mosse, professeure et chercheuse à l’Ensad.

Artisanat numérique, processus industriels, savoir-faire traditionnels

Trois doctorants en design inscrits au sein d’EnsadLab, laboratoire dirigé par Emmanuel Mahé, également directeur de Sacre, témoignent de cette dynamique.

Aujourd’hui pensionnaire de l’Académie de France à Rome, Jeanne Vicerial, vingt-huit ans, a développé le projet « clinique vestimentaire » dans le cadre de son doctorat Sacre obtenu en octobre dernier, le premier consacré au design du vêtement (voir ill.). Sa recherche lui vaut le prix de la Création durable 2019, de la deuxième édition du Big Blue Project. À partir d’une réflexion sur le corps et la peau « devenue l’étoffe principale du XXIe siècle », la designer veut « imaginer la création d’une enveloppe corporelle programmable sur mesure ». Elle met au point, grâce à un partenariat avec l’École des Mines, un procédé permettant de produire des vêtements sur mesure, sans chute, en petites séries, de façon semi-industrielle. Cela l’a conduite, en tant qu’inventrice – avec quatre co-inventeurs, dont ses encadrants du laboratoire d’électronique des Mines –, à déposer un brevet avec PSL auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi).

Christophe Guérin, trente-six ans, a entrepris, pour sa part, une recherche autour de « l’incidence de l’infime ». Convaincu que nombre d’éléments, non perceptibles et négligeables par leur quantité, peuvent être porteurs d’une réelle puissance transformatrice, le designer, chercheur et entrepreneur développe sa réflexion autour de deux axes, « l’invisible » (l’énergie) et le « non-visible » (les déchets). Il prend appui sur plusieurs projets : des piles électriques fabriquées à partir d’urine (en collaboration avec le Bristol Bio­Energy Centre Research au Royaume-Uni), la récupération des énergies dissipées dans les ouvrages d’art et les bâtiments de grande hauteur, la dépollution de l’air grâce à des micro-algues (en lien avec le Muséum national d’histoire naturelle).

Enfin, après un master en Design à la Sorbonne, la Bolivienne Natalia Baudoin, trente-quatre ans, fait le choix de Sacre pour poursuivre ses recherches en « bricologies symbiotiques » autour de l’artisanat d’Amérique latine. Son objectif ? Travailler avec des communautés indigènes comme les Guaranis pour valoriser leurs savoir-faire, développer des co-créations et inventer de nouveaux modes de développement économique. « L’Amérique latine a l’avantage du retard. Elle a moins à défaire… », confie-t-elle. Et la designer conclut en évoquant une innovation fascinante : un implant cardiaque réalisé à partir d’un seul fil de nitinol, sans soudure, grâce au savoir-faire des femmes tisserandes aymaras de Bolivie.

On le voit, la recherche en design est porteuse de promesses pour le futur… si l’on prend soin de l’encourager et de la soutenir.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°534 du 29 novembre 2019, avec le titre suivant : Le programme Sacre à la pointe de la recherche en design

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