Métiers du graphisme et du cinéma d’animation : comment bien choisir sa formation

À l’occasion du Salon Start, qui se tient le samedi 30 novembre et le dimanche 1er décembre à Paris, “Télérama” vous propose de prendre le temps d’écouter les professionnels du graphisme et du cinéma d’animation parler de leurs parcours, et les enseignants évoquer l’évolution de leur pédagogie. Un supplément à découvrir dans notre numéro 3646 du 28 novembre.

Par Benjamin Roure

Publié le 27 novembre 2019 à 18h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 00h42

« L’âge d’or du cinéma d’animation arrive. » Gabriel Murgue n’a que 27 ans et un tout frais diplôme de l’école Émile-Cohl, mais il en est certain : l’image animée n’a pas encore atteint sa plénitude dans nos vies, pourtant déjà abreuvées de visuels. Que ce soit dans la publicité, le jeu, l’événementiel, et bien sûr la fiction — séries ou longs métrages —, l’animation s’infiltre partout, jusqu’à concurrencer la prise de vue réelle. Au Festival de Cannes, le Grand Prix de la Semaine de la critique pour J’ai perdu mon corps, film animé de Jérémy Clapin, le confirme. Bonne nouvelle pour la France, qui a su, depuis des années, cultiver son savoir-faire et développer des écoles qui forment des légions d’artistes et d’artisans de l’image animée. Mais quid de l’image fixe ? Des signes et formes qui racontent et portent un message ? Ils sont toujours là, plus discrets, mais décisifs dans l’interrogation de notre monde ultra connecté, et porteurs de sens et de valeurs. Les graphistes d’hier sont devenus designers graphiques, une évolution sémantique qui les positionne comme des concepteurs réinventant la communication au quotidien. « Il n’y a jamais eu autant de supports de communication à produire, et donc de travail dans le graphisme, se réjouit le designer Vadim Bernard. Mais pour trouver sa voie singulière, celle qui conduira le client vers des terres inconnues, il faut du temps. Pour grandir et trouver son terrain de jeu. Et ce temps, c’est celui de l’école. »

Le graphisme

Spielberg et Coppola en sont fans. Et pourtant, ce graphiste belge de 49 ans a passé des années dans l'ombre des travaux de commande, avant de conquérir le monde par ses affiches de film.

Comment êtes-vous devenu graphiste ?
J'ai commencé à être obsédé par le dessin vers l'âge de 6 ans et plus rien ne m'intéressait à part ça. Adolescent, la découverte de Moebius m'a poussé vers la bande dessinée. Mes parents m'ont tout de même conseillé d'ajouter une corde à mon arc en apprenant le graphisme, afin de gagner ma vie. À l'école de La Cambre, à Bruxelles, j'ai découvert cette voie passionnante et me suis éloigné de la BD. Car j'ai compris comment raconter des histoires avec moins d'images, j'ai pris plaisir à créer des maquettes, des chartes graphiques, des illustrations. J'ai naturellement poursuivi dans cette voie, parce qu'il fallait bien vivre et que le marché de l'illustration est petit en Belgique.

Après vingt ans de ce travail de l'ombre, vous vous faites connaître par des affiches de cinéma…
Un jour, je me suis dit qu'il fallait que je prouve que je valais mieux que mes seuls travaux de commande. Et j'ai dessiné une affiche qui a été remarquée et m'a permis de toucher une niche, celle des collectionneurs, notamment sur le marché américain. J'ai réussi à développer un travail personnel autour des affiches de cinéma, mais ça aurait pu être autre chose… Les trois éléments fondamentaux pour réussir, selon moi, sont la passion, le travail surtout, et la chance. Être au bon endroit au bon moment. Aujourd'hui, j'ai des commandes pour deux ou trois ans, mais je suis conscient que tout peut s'arrêter d'un coup. Voilà pourquoi je tente de nouvelles choses, comme la colorisation du Blake et Mortimer de François Schuiten. Il faut rester humble dans ce métier.

Quels conseils donneriez-vous aux aspirants graphistes ?
D'abord apprendre à se connaître. Se tromper, souffrir un peu aussi, afin de construire son identité. Car si on connaît tout à 22 ans, comment évoluer ? Dans ce cheminement, il faut aussi apprendre à savoir dire oui et non. Oui à des projets qui peuvent vous faire franchir un cap ou vous faire rencontrer d'autres personnes.

Designer graphique et référent des 4e et 5e années à l'Ensad, il pousse les étudiants à sortir du moule.

Vadim Bernard enseignant à l’Ensad : « Nous sommes prêts à sélectionner quelqu’un qui dessine moins bien mais qui aura su exprimer une voix singulière.  »

Vadim Bernard enseignant à l’Ensad : « Nous sommes prêts à sélectionner quelqu’un qui dessine moins bien mais qui aura su exprimer une voix singulière.  »

Collection particulière

Comment le design graphique et son enseignement ont-ils évolué ces vingt dernières années ?
Au-delà du développement des outils numériques pour produire des images — dont se sont saisis très tôt les Arts ­déco —, un profond changement de ­vision a eu lieu. On n'est plus dans la simple communication visuelle autour de la diffusion d'un message. Mais bien dans l'idée que les formes vont agir comme une réponse à une problématique. Il existe toujours toutefois une vision du design « à la française », où la figure de l'auteur conserve une place importante. Car on peut mettre beaucoup de soi au service d'un projet.

Quel est l'ADN de la pédagogie des Arts déco ?
Nous souhaitons amener les étudiants à inventer ce que sera leur métier ­demain. C'est pour cela que leur projet de diplôme en 5e année est souvent l'aboutissement d'une longue réflexion personnelle : ils savent déjà ­répondre à une commande, il s'agit à ce moment de proposer des idées et des formes auxquelles le client n'aurait pas pensé. Les Arts déco prônent la pluridisciplinarité : le choix d'un secteur se fait en 2e année, mais des ateliers et cours communs perdurent. Il y a peu de temps de stage, c'est vrai, mais il se passe énormément de choses dans les murs de l'école.

Quel est le bon profil pour y entrer ?
En première année, les candidats sont si nombreux qu'il faut réussir à se distinguer. Passer par une classe préparatoire peut aider d'un point de vue technique et de maturité, mais risque aussi de formater. Nous sommes ainsi prêts à sélectionner quelqu'un qui dessine moins bien mais qui aura su exprimer une voix singulière. On peut aussi entrer directement en 2e année, après un bac +1 en art par exemple, ou un cursus type BTS — qui bientôt ­permettra de prétendre à une entrée en master.

À l’Ensad, on prône avant tout la pluridisciplinarité.

À l’Ensad, on prône avant tout la pluridisciplinarité.

Béryl Libault

Les écoles

De nombreuses écoles supérieures d’art et de design publiques (Esad) – gratuites et accessibles post-bac sur concours – proposent des cursus en design graphique, comme l’Institut des arts de Toulouse ou l’École des beaux-arts de Lyon, et certaines y ajoutent des spécialités, telles la Haute École des arts du Rhin, à Strasbourg (illustration), l’Esad Le Havre (interactivité), l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, à Lorient (arts visuels pour le journalisme)… Aux côtés de ces formations prisées, des écoles privées proposent des cursus en trois et cinq ans, parfois plébiscités par les agences et les entreprises.

Ensad (École nationale supérieure
des arts décoratifs)

Publique. À Paris. 438 €/an. ensad.fr

École Estienne
Publique. À Paris. Gratuite. ecole-estienne.paris

Ensaama
Publique. À Paris. Gratuite. ensaama.net

Epsaa
Publique. À Paris. 440 €/an. epsaa.fr

ECV
Privée. À Paris, Lille, Bordeaux, Nantes et Aix-en-Provence. 7800€ à 9100€/an. ecv.fr

Une des créations de Jeanne Harignordoquy qui est passée par l’école de communication visuelle (ECV).

Une des créations de Jeanne Harignordoquy qui est passée par l’école de communication visuelle (ECV).

Jeanne Harignordoquy

École de design Nantes Atlantique
Privée. À Nantes. 6 100 à 7 700 €/an. lecolededesign.com

Écoles de Condé
Privées. À Paris, Lyon, Nice, Nancy et Bordeaux. 6 650 à 8 450 €/an. ecoles-conde.com

Lisaa
Privée. À Paris, Rennes, Bordeaux, Nantes et Strasbourg. 8 140 à 9 740 €/an. lisaa.com

Le cinéma d’animation

Primé à la Semaine de la critique, à Cannes, et au festival d’Annecy, J’ai perdu mon corps est le premier long métrage de ce réalisateur de 45 ans, qui revendique coûte que coûte sa démarche d’auteur.

J’ai perdu mon corps, premier film de Jérémy Clapin, a été primé à Cannes et au festival du film d’animation d’Annecy.

J’ai perdu mon corps, premier film de Jérémy Clapin, a été primé à Cannes et au festival du film d’animation d’Annecy.

XILAM ANIMATION - RHONE-ALPES CINEMA

Comment est née votre envie de réaliser des dessins animés ?
Enfant, je créais des flip books dans mes cahiers d’anglais, mais je n’envisageais pas d’en faire mon métier, préférant suivre mon aîné dans un cursus en communication visuelle. Après un bac scientifique, j’ai donc fait une prépa artistique et réussi plusieurs concours, dont les Gobelins, et les Arts déco de Paris, que j’ai choisis car je ne savais pas ce que je voulais vraiment faire. Là, j’ai découvert le graphisme, la sérigraphie, la gravure. Et le court métrage d’animation lors d’un voyage à Annecy. J’ai étudié en filière image animée, mais j’ai finalement passé mon diplôme en illustration, car je ne me sentais pas prêt à travailler dans l’industrie du dessin animé.

Pourquoi ?
Cela m’aurait écarté de mon envie de films d’auteur. Après l’école, j’avais établi un plan de carrière avec une part de travail alimentaire et une part de création, bien distinctes. Ainsi, j’ai exercé un temps comme prof de tennis, illustrateur, pour l’édition jeunesse notamment, et graphiste. Puis j’ai présenté un projet de court métrage à un concours et un producteur m’a repéré. C’est ainsi que tout a commencé, mais ça s’est joué à pas grand-chose. Passer par la case des jobs alimentaires, cela renforce sa conviction. Être auteur, c’est dur, ça ne peut pas être autrement.

Vous avez tout de même fini par sortir un long métrage.
Au départ, je ne rêvais pas de longs métrages, car ceux que je voyais me semblaient trop édulcorés. Et j’avais entendu trop d’échos de réalisateurs déçus par le résultat final au regard de leur idée de départ. La rencontre avec Marc du Pontavice, du studio Xilam, a changé ma vision, car j’ai su que je pourrais être accompagné pour mettre en œuvre mes idées. Et surtout, j’ai pu imposer une technique d’animation. Car pour conserver la maîtrise artistique d’un projet, il faut en avoir la maîtrise technique. La lourdeur d’un long métrage a vite fait de vous écraser : quand vous êtes au milieu de la production, que rien n’est fini ni montrable, qu’il n’y a que des problèmes à résoudre toute la journée, on perd tout plaisir. Et puis des séquences arrivent, et le film qu’on avait en tête commence à prendre forme. Et cette énergie-là est si puissante qu’on a envie d’en refaire un autre sur-le-champ !

Le studio TeamTO produit des séries jeunesse et recrute toujours plus, souvent dans les écoles, pour faire face à une demande exponentielle.

Le studio TeamTO produit des séries jeunesse et recrute toujours plus, souvent dans les écoles, pour faire face à une demande exponentielle.

Studio TeamTO

La prestigieuse école de l’image, gérée par la chambre de commerce d’Île-de-France, révise son cursus animation pour s’ouvrir davantage et répondre aux besoins du secteur.

Quelles évolutions connaît votre cursus « concepteur et réalisateur de films d’animation » ?
Il passe de quatre à cinq ans et recrute en première année exclusivement des bacheliers ou des bac + 1. Car on s’est rendu compte que de nombreux candidats avaient fait un premier cursus en animation et qu’il était plus logique d’accueillir ceux-là directement en master. Notre formation sera donc organisée en trois ans de licence — avec une sortie possible, ce qui peut correspondre aux besoins de main-d’œuvre des studios — et deux ans de master. Et nous proposons une classe ouverte aux étudiants étrangers dès la première année. Le concours change aussi : il n’y aura plus d’écrit, les candidats devront présenter leurs productions récentes sur un Tumblr. Ce concours sera commun pour l’année de prépa et la première année. Nous évaluerons ainsi la maturité des candidats pour intégrer l’une ou l’autre année.

Qu’est-ce qui fait un bon candidat aux Gobelins ?
La première condition est d’aimer dessiner en quantité, car notre pédagogie est fondée sur le dessin animé fait à la main. Ensuite, il faut avoir l’esprit ouvert. Le candidat ne doit pas être figé dans un style. Notre but est qu’un jeune vienne aux Gobelins pour apprendre, pas seulement chercher un diplôme prestigieux. L’important est qu’il identifie bien l’école qui lui correspond : l’année de prépa doit aussi servir à cela.

Les Gobelins ont eu un temps la réputation de trop formater leurs diplômés.
Cette période est terminée. Notre fil conducteur est de former de très bons animateurs de personnages — nous avons une formation courte consacrée à ce domaine —, qui sachent donner du sens et des sentiments. Nous développons aussi la réflexion sur le storytelling, c’est-à-dire l’histoire et la façon de la raconter. Car les séries ont besoin de renouveler les vieilles recettes
gobelins.fr

L’école des Gobelins veut avant tout former de très bons animateurs de personnages dans son cursus spécialisé.

L’école des Gobelins veut avant tout former de très bons animateurs de personnages dans son cursus spécialisé.

École des Gobelins

Les écoles

Supinfocom Rubika
Gérée par la chambre de commerce. À Valenciennes. 8 250 à 9 500 €/an. rubika-edu.com

Ensad, École nationale supérieure des arts décoratifs
Publique. À Paris. 438 €/an. ensad.fr

Emca, École des métiers du cinéma d’animation
Gérée par la chambre de commerce. À Angoulême. 6 625 €/an. angouleme-emca.fr

Émile-Cohl
Privée. À Lyon. 9 000 €/an. cohl.fr

Dessin de Gabriel Murgue, qui a étudié à Émile-Cohl et travaille maintenant en free-lance.

Dessin de Gabriel Murgue, qui a étudié à Émile-Cohl et travaille maintenant en free-lance.

Gabriel Murgue

La Poudrière
Associative. À Bourg-lès-Valence. 1 000 €/an. poudriere.eu

Isart digital
Privée. À Paris. 7 800 à 8 400 €/an. isartdigital.com

Les Gobelins
Gérée par la chambre de commerce. À Paris. 8 800 €. gobelins.fr

Esma, École supérieure des métiers artistiques, École d’animation 3D et effets spéciaux
Privée. À Montpellier, Toulouse, Nantes et Lyon. 7 080 €/an. esma-artistique.com et esma-3d.fr

Mopa
Privée. À Arles. 7 250 à 7 900 €. ecole-mopa.fr

ECV
Privée. À Paris, Lille et Bordeaux. 7800 à 9100€/an.. ecv.fr

École Georges-Méliès
Privée. À Orly. 7 500 à 7 700 €/an. ecolegeorgesmelies.fr

Pôle 3D
Privée. À Roubaix. 7 500 €/an. pole3d.com

ArtFX
Privée. À Montpellier. 7 350 à 8 250 €/an. artfx.fr

Lisaa
Privée. À Paris et Toulouse. 7 590 à 9 290 €/an. lisaa.com

IIM
Privée. À Paris. 7 700 €/an. iim.fr

ATI Paris-8 (Arts et technologies de l’image)
Publique. À Saint-Denis. 460 €/an. ati-paris8.fr

L’Atelier
Privée. À Angoulême. 7 400 €/an. ecolelatelier.com

Start, le Salon des formations artistiques
Les 30 novembre et 1er décembre de 10h à 18h. Le Centquatre, 5, rue Curial, Paris 19e.
le-start.com

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