La scène ressemble à un tableau vivant. Devant nous, deux jeunes femmes sont en train de coiffer d’immenses statues de fils noirs. A l’aide d’une petite baguette de bois, elles démêlent en silence les tresses, les cordons et les minuscules lianes qui ressemblent à des cheveux. Le geste se répète, doux et précis, comme dans une transe hypnotique. Dans quelques jours, trois œuvres de la plasticienne et chercheuse Jeanne Vicérial seront présentées dans le cadre d’une exposition collective, baptisée « Au-delà. Rituels pour un nouveau monde », à Lafayette Anticipations, le lieu d’exposition de la Fondation Galeries Lafayette situé dans le Marais, à Paris.
Pour l’heure, il s’agit de mettre en plis ces sculptures d’outre-tombe : deux « Armors » textiles géantes, « d’inquiétantes guerrières faites d’amour autant que d’armure » tout droit sorties de la mythologie, et une « gisante » sur son tombeau, sorte de fantôme sacré aux entrailles percées d’un cœur de pivoines séchées. Ensuite, ces mystérieuses figures féminines seront parfumées avec des senteurs imaginées par Jeanne Vicérial, « des parfums d’objets » élaborés en collaboration avec le nez Nicolas Beaulieu.
« Je devenais de plus en plus mal à l’aise avec l’idée de mettre sur le marché de nouveaux vêtements alors qu’on en a suffisamment pour les cent ans à venir. » Jeanne Vicérial
Cette phase de préparation terminée, les œuvres pourront être dévoilées au public. « J’ai découvert dans le monde de l’art une liberté que je n’ai jamais trouvée dans la mode », explique la plasticienne de 31 ans, qui a quitté le design de mode pour bifurquer vers le monde de l’art. Elle est représentée depuis un an par la galerie Templon, où une quinzaine de ses sculptures vestimentaires sont exposées jusqu’au 11 mars. L’occasion de voir que la créatrice manie aussi bien le blanc immaculé que le noir de jais.
Après des études de costumière puis un master en design vêtement de l’Ecole des arts décoratifs de Paris en 2015, Jeanne Vicérial rejoint l’atelier du styliste Hussein Chalayan. « J’ai tenté sans succès des concours de mode, je voulais lancer ma marque de prêt-à-porter, mais je n’ai jamais réussi à trouver ma place dans cette industrie », dit-elle sans regret. Un mal pour un bien. « Ce n’était tout simplement pas un milieu fait pour moi. Et puis, je devenais de plus en plus mal à l’aise avec l’idée de mettre sur le marché de nouveaux vêtements alors qu’on en a suffisamment pour les cent ans à venir. Aujourd’hui, je n’ai plus du tout envie de m’inscrire dans une démarche de production en série. »
Il vous reste 76.13% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.