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Nous ! Le vivant: tribune

«Façonner des récits, des formes et des imaginaires»

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Une des grandes urgences de notre temps est de réapprendre à vivre et habiter parmi les vivants. Par Emmanuel Tibloux, directeur de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs.
par Emmanuel Tibloux, directeur de l’École nationale supérieure des arts décoratifs
publié le 3 septembre 2023 à 15h36
En partenariat avec l’Ecole des arts décoratifs, l’Ecole normale supérieure – PSL et le Muséum national d’histoire naturelle, Libération organise le 23 septembre une biennale pour célébrer le vivant. En attendant cette journée de débats et d’échanges, nous publions sur notre site tribunes et éclairages sur les thématiques qui seront abordées durant la biennale.

Voilà plusieurs années que le concept de vivant tend à remplacer ceux de nature et d’environnement pour nous rappeler que, aussi singuliers que nous soyons, nous les êtres humains faisons partie d’un ensemble plus vaste avec lequel nous entretenons des relations d’interdépendance. C’est là notre condition littéralement écologique, que la modernité nous a conduits à perdre de vue, avec les effets dévastateurs que l’on connaît. Aussi l’une des grandes urgences de notre temps est-elle d’apprendre à vivre et habiter parmi les vivants.

Dans l’histoire récente de l’humanité occidentale, un domaine en particulier s’est constitué autour des arts de vivre et d’habiter : celui des arts décoratifs. Apparaissant en France dans la deuxième moitié du XIXe siècle, au moment où la révolution industrielle s’intensifie avec la maîtrise de l’électricité, l’expression est riche de la polysémie de son étymologie et de ses usages. D’un spectre large, englobant les arts de l’habitation (mobilier, décoration d’intérieur) et de l’habillement (mode), les arts dits décoratifs doivent à l’adjectif qui les spécifie, forgé sur le latin decet, qui a donné «décent» et est apparenté à doceo, qui a donné «docte», de conjuguer les valeurs de l’ornement, de la convenance, du savoir et de l’enseignement.

Concevoir et enseigner les arts de vivre et d’habiter de notre temps est la mission que nous nous sommes donnée à l’Ecole des arts décoratifs, avec la conviction que la dimension sensible est essentielle dans le rapport que nous devons construire et entretenir avec le vivant. A travers une approche transversale, qui croise tous les domaines de la création artistique, de l’art au design en passant par la scénographie, l’illustration ou l’architecture intérieure, nous façonnons des récits, des formes, des usages et des imaginaires accordés à notre condition écologique.

Un tel programme devrait être celui de toute école et l’Ecole, un des acteurs majeurs de notre temps : pas d’école sans écologie ni d’écologie sans école. Ce qui implique que l’on s’affranchisse de la conception conservatrice de l’éducation, à laquelle obéit encore l’imaginaire étriqué de l’insertion professionnelle, pour lui substituer une pensée de la transformation. La figure du bifurqueur, qui a émergé au printemps 2022, n’a rien d’anecdotique. Elle nous oblige à hisser nos établissements à la hauteur d’une jeunesse qui n’est ni un luxe ni un marché, mais notre seule possibilité de salut – pour autant que nous soyons capables de convertir ses désirs de bifurcation existentielle en forces de transformation sociale. C’est là l’un des principaux enjeux de notre Biennale du Vivant : à être organisée par un journal qui a toujours fonctionné comme un sismographe de son époque et trois grands établissements d’enseignement supérieur et de recherche, elle se doit de faire école au-delà de l’école pour faire infuser dans la société un nouvel art de vivre et d’habiter parmi les vivants.

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