Dans l’ancienne sacristie des Bernardins, une barque tressée en osier flotte sur des plaques de sel. Un châtaignier abattu par une tempête se dresse, réparé, étayé avec des tenons et des mortaises, devant cinq grands vitraux en algues séchées offrant de superbes lueurs de gris, de brun et de vert tendre. Rémi Coignec, jeune diplômé de l’École des arts décoratifs, s’est plongé dans les traditions des goémoniers, des charpentiers de marine de sa Bretagne natale, dans les mythes ancestraux sur la mort et la naissance, pour créer ces œuvres qui réconcilient avec justesse travail manuel, éléments naturels et rituels religieux.

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Il est l’un des premiers étudiants à avoir suivi la chaire « La jeune création et le sacré » créée en 2019 à l’École des arts décoratifs de Paris. Un cursus dont témoignent aujourd’hui un livre et deux expositions à Paris et Pantin, réunissant une trentaine de travaux d’étudiants, le tout joliment intitulé « Bureau d’investigation du sacré » (1).

Un sujet longtemps banni des écoles d’art

«Quand la Fondation AG2R La Mondiale pour la vitalité artistique a proposé à l’école d’explorer ce thème, l’idée nous a paru excellente. Car ces questions liées au sacré semblaient intéresser beaucoup nos jeunes étudiants », raconte un des membres de l’équipe enseignante. La difficulté, «c’est qu’on se sentait peu compétents sur le sujet », admet-il. Bannies des écoles d’art, dans un souci de laïcité, les questions religieuses avaient fini en effet par y devenir taboues. « On a regardé ce que proposaient les autres écoles en Europe, nous n’avons pas trouvé de programme s’y intéressant », poursuit ce professeur.

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D’où le choix de l’École des arts décoratifs d’organiser une chaire très ouverte, appuyée à la fois sur les projets des étudiants passionnés aussi bien par le chamanisme, les religions du livre, que certains rituels marginaux, avec des intervenants extérieurs associés : artistes, cinéastes, architectes, le père David Sendrez, théologien aux Bernardins, ou l’essayiste Céline Du Chéné, autrice du livre Sorcières, Une histoire de femmes… Certains ont animé des ateliers ou un voyage d’étude, d’autres ont participé le 13 mars 2020 à une journée de rencontre avec 150 participants. Dix bourses ont aussi été financées par AG2R La Mondiale pour financer des projets de fin d’études autour du sacré, qui ont suscité une riche brassée de candidatures.

Aux Grandes Serres de Pantin, une trentaine de jeunes artistes de l’École des arts décoratifs exposent ainsi les fruits de cette chaire originale, hélas aujourd’hui interrompue. La crise environnementale y revient en leitmotiv. Comme si le sacré s’alliait chez cette jeune génération à une nouvelle attention portée à la nature, au travail de la terre, au mode de vie des peuples aborigènes ou à des cérémonies conjuratoires porteuses d’actions collectives.

(1) Au Collège des Bernardins (exposition de Rémi Coignec), 20 rue de Poissy, Paris 5e jusqu’au 18 janvier et aux Grandes Serres de Pantin, 1 rue du Cheval-Blanc, jusqu’au 23 janvier. L’ouvrage Bureau d’investigation du sacré, 348 p, 25 € est vendu au Collège des Bernardins et bientôt via les Presses du Réel.